L’histoire numismatique du Maroc : de l’Antiquité aux temps modernes

Depuis l’Antiquité, le territoire marocain a vu circuler des monnaies d’une richesse et d’une diversité extraordinaires. Celles-ci ne sont pas de simples instruments économiques : elles reflètent les civilisations, les royaumes et les dynasties qui ont marqué l’histoire du pays. De la côte carthaginoise aux pièces modernes arborant le portrait royal, le Maroc offre une tradition numismatique unique, à la croisée de l’Afrique, de l’Europe et du monde arabe.

1. Les premières traces monétaires apparaissent sur le littoral atlantique et méditerranéen avec les Carthaginois, entre le Ve et le IIe siècle avant J.-C. Dans les comptoirs côtiers, des monnaies de bronze inspirées de Carthage circulent, ornées de symboles religieux et culturels : la tête de Tanit, des chevaux ou encore des palmiers. Ces monnaies témoignent déjà d’un monde tourné vers les échanges méditerranéens.

2. Avec l’essor du Royaume de Maurétanie (IIIe siècle av. J.-C. – 40 ap. J.-C.), les ateliers de Volubilis et de Tingis frappent des monnaies en bronze et en argent au style gréco-romain. Sous les règnes de Bocchus, Juba II et Ptolémée, ces monnaies portent des légendes en grec puis en latin. Elles traduisent l’intégration progressive du royaume dans l’univers culturel et économique romain, jusqu’à son annexion en 40 ap. J.-C.

3. Durant la période romaine (Ier – IVe siècle), la Maurétanie Tingitane ne dispose pas de frappe locale, mais les monnaies impériales circulent largement : sesterces, deniers et aurei. Elles accompagnaient la romanisation de villes comme Volubilis, où de nombreux exemplaires ont été retrouvés lors des fouilles.

4. Après la chute de Rome, le territoire passe successivement sous domination vandale puis byzantine (Ve – VIIe siècle). La circulation monétaire devient plus rare, limitée à quelques follis en cuivre et monnaies africaines d’importation, aujourd’hui extrêmement difficiles à retrouver au Maroc.

5. À la veille de l’islamisation, les tribus locales utilisent des monnaies venues d’Orient, notamment des frappes omeyyades. Quelques imitations locales témoignent d’une adaptation progressive au nouveau système.

6. Une étape majeure s’ouvre avec la fondation de l’État marocain par les Idrissides (788 – vers 974). Sous Idriss Ier et ses successeurs apparaissent les premiers dinars d’or et dirhams d’argent spécifiquement marocains. Leur style, sobre et épigraphique, met en avant des formules religieuses, marquant l’ancrage du royaume dans l’islam et son affirmation politique.

7. Après la chute des Idrissides, une longue période d’instabilité (974 – 1056) voit se succéder des pouvoirs rivaux : Zenètes, Fatimides, émirs andalous. La production monétaire devient fragmentée, d’influences multiples et souvent rare.

8. Les Almoravides (1056 – 1147) marquent une nouvelle prospérité. Leurs dinars d’or, massifs et raffinés, circulent à grande échelle à travers le Maghreb et jusqu’en Al-Andalus. Leur qualité en fait une monnaie de référence dans le commerce international, ancrant le Maroc dans les échanges méditerranéens et sahariens.

9. Les Almohades (1130 – 1269) innovent à leur tour en introduisant le célèbre dirham carré en argent, au style austère, d’une typographie rigoureuse. Cette forme singulière, unique dans le monde islamique, devient emblématique de leur pouvoir et de leur réformisme religieux.

10. Les Mérinides (1244 – 1465) conservent ce modèle carré pour leurs dirhams, perpétuant ainsi l’héritage almohade. Cependant, ils enrichissent les légendes et introduisent une calligraphie parfois plus décorative. Les noms des souverains et les formules religieuses y sont toujours soigneusement mis en avant, ce qui confère aux monnaies un rôle d’outil politique autant que spirituel.

11. Les Wattassides (1472 – 1554), confrontés à une économie affaiblie et à une perte de prestige, produisent des monnaies plus modestes, notamment des dirhams d’argent de qualité moindre et en quantité réduite.

12. Avec les Saadiens (1554 – 1659), le Maroc retrouve une richesse nouvelle grâce à l’or du Soudan, acheminé par les caravanes transsahariennes. Les mithqals d’or frappés à Marrakech, Fès et Taroudant deviennent célèbres et recherchés, aux côtés des dirhams et des falus de cuivre. Ces monnaies symbolisent la puissance saadienne au moment où le Maroc s’impose comme une force régionale.

13. La dynastie alaouite, fondée en 1666, poursuit la frappe artisanale de mithqals, dirhams et falus. La variété des types et des ateliers reflète l’extension de leur autorité et la diversité des influences régionales. Chaque atelier, de Fès à Marrakech en passant par Meknès, imprime sa marque, créant une richesse numismatique remarquable.

14. Sous le règne de Moulay Hassan Ier (1873 – 1894), une réforme ambitieuse cherche à moderniser la monnaie marocaine. Des frappes sont commandées aux ateliers européens, notamment à Birmingham et Paris. Le ryal hassani et ses subdivisions marquent l’introduction d’unités plus précises et standardisées, adaptées aux échanges internationaux.

15. À partir du début du XXe siècle, le Maroc entre dans l’ère coloniale. Sous le protectorat français et espagnol, le pays adopte le franc chérifien (1900 – 1956). Ces pièces, modernes dans leur fabrication, reflètent l’influence européenne et symbolisent une nouvelle étape de dépendance monétaire.

16. Avec l’indépendance en 1956, le Maroc retrouve sa souveraineté et adopte le dirham marocain comme devise nationale. Les émissions modernes portent les portraits successifs de Mohammed V, Hassan II et Mohammed VI. Les nombreuses frappes commémoratives illustrent les grands événements politiques, culturels et sportifs du pays, inscrivant la numismatique dans la mémoire collective contemporaine.

Ainsi, l’histoire monétaire du Maroc est un véritable miroir de son histoire politique et culturelle. Chaque pièce raconte une époque, une dynastie et une vision du pouvoir, offrant au collectionneur et à l’historien un témoignage précieux d’un passé pluriel et riche.


Références et sources :

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