Mérinides (1244–1465) : le dirham carré en argent, l’or de prestige… et la lisibilité du pouvoir

La dynastie mérinide, issue de la confédération berbère des Zénètes, s’impose au Maghreb al-Aqsa au milieu du XIIIᵉ siècle, à la suite de l’affaiblissement des Almohades. Leur prise de pouvoir ne se limite pas à une conquête militaire : elle marque aussi une réorganisation profonde des structures politiques et économiques du Maroc. Sous le règne du sultan Abou Yousef Yaâqoub (1258–1286), puis de ses successeurs, Fès s’affirme comme capitale politique, foyer intellectuel et carrefour spirituel, notamment grâce à la renommée de la Qarawiyine. En parallèle, les routes transsahariennes assurent l’acheminement des métaux précieux, reliant les gisements d’or du Soudan occidental et les mines d’argent de l’Atlas aux ports méditerranéens. Ces circulations, entre Maghreb, Ifriqiya, Andalousie et Orient, confèrent aux Mérinides un rôle central dans le commerce interrégional.
Cette dynamique se reflète avec clarté dans leur production monétaire : elle combine l’usage quotidien de l’argent, très répandu sous forme de dirhams carrés, et l’or, réservé à l’affirmation du pouvoir souverain à travers les dinars ronds. Ainsi, la numismatique mérinide constitue à la fois un témoin des réalités économiques et un instrument de légitimation politique et religieuse.

Deux métaux, deux vocations

Argent (usage courant) : prédominance de dirhams carrés — et de fractions carrées — frappés au marteau, à épigraphie religieuse sobre. De nombreux types sont anonymes (sans nom de sultan explicite), attribuables par l’atelier (ex. Fès, Madinat Asilah) et la mise en page. Les corpus et enchères documentent abondamment ces dirhams carrés (≈0,8–0,9 g).
Or (prestige) : dinars ronds et fractions, à légendes nettes portant le nom du sultan (standard ~4,5–4,7 g pour le dinar entier; exemples nombreux par règne). C’est la continuité du format rond déjà en usage sous Almoravides et Almohades.

Zoom sur les dirhams mérinides

Le site Nanumis propose un aperçu précieux des dirhams mérinides, en particulier les types anonymes en argent dont les caractéristiques techniques sont décrites avec précision. Par exemple, un dirham carré anonyme, référencé Hohertz 870 b, est caractérisé par un poids de 0,39 g, sans mention de souverain ni de date, et souvent frappé à un atelier inconnu.
D’autres variantes sont également détaillées : un dinar anonyme de 0,17 g, ou bien un dirham issu de l’atelier d’Asilah (أصيلا), avec des poids autour de 0,23 g.
Cette page permet de comprendre la diversité formelle et géographique de l’émission — en particulier l’usage persistant du dirham carré sur tout le territoire mérinide, même dans un contexte d’anonymat partiel des pièces.
Pour approfondir la description, je vous encourage vivement à visiter la page Les Dirhams Mérinides sur Nanumis

Exemple d’inscription typique :

Avers : « لا إله إلا الله / الأمر كله لله / لا قوة إلا بالله »
Revers : « الله ربنا / محمد رسولنا / القرآن امامنا » ( Remarquer bien que Les Mérinides ont remplacé la formule almohade « المهدي إمامنا » par « القرآن إمامنا ».

Le dinar mérinide : continuité du rond, rôle de prestige

Le système monétaire des Mérinides ne se limitait pas au dirham d’argent. Bien que plus rares en circulation, les dinars d’or furent également frappés et subdivisés en fractions, ce qui témoigne d’une volonté d’adapter la monnaie à différents niveaux de transactions tout en conservant son prestige symbolique.

Le dinar complet
- Poids : environ 4,4 – 4,7 g.
- Forme : ronde, frappée au marteau.
- Exemple : un dinar d’Abou al-Ḥassan Ali (1331–1351), pesant 4,40 g (source : Numista).
- Usage : grandes transactions et symbolique de pouvoir.
Le demi-dinar (½ dinar)
- Poids : environ 1,78 g.
- Exemple : pièce frappée sous Abou Said Othman II (1310–1331), de forme ronde et irrégulière (source : Numista).
- Rôle : valeur intermédiaire pour échanges importants, mais plus accessibles que le dinar entier.
Le quart de dinar (¼ dinar)
- Exemple : mentionné sous le règne d’Abou Faris Abd al-Aziz II (1393–1396), frappé à Sijilmassa (source : Numista).
- Poids : non précisé dans les sources, probablement autour de 1 g ou moins.
- Intérêt : illustre une volonté d’atteindre une granularité encore plus fine dans la circulation de l’or.

Un fait archéologique important

Une découverte significative près de Meknès a révélé un trésor de plusieurs milliers de dirhams d’argent datant de la fin de l’Empire mérinide, comme l’a documenté l’archéologue Henri Arroyo dans la Revue Numismatique (1974).
L’étude, qui repose sur un échantillon de 183 pièces tiré du trésor, montre que la plupart des monnaies étaient de forme carrée et frappées pour des souverains tardifs — notamment Abd-al-Haqq — et provinces comme Meknès ou Taza.
Cette découverte met en évidence l’abondance de la frappe d’argent à cette époque, suggérant une circulation monétaire étendue et une prépondérance de l’argent par rapport à l’or dans la thésaurisation et l’économie locale.

Source à consulter :
Henri Arroyo, Un trésor de dirhams de la fin de l’empire mérinide, Revue Numismatique (6ᵉ série, tome 16, 1974), pp. 115–122.

Conseils pour collectionneur

Commencer par l’argent : ciblez un dirham carré bien centré et lisible (type anonyme), plus accessible et courant que l’or.
Ajouter une fraction : un ½ dirham carré (temps d’Abou al-Ḥassan 1331-1351) complète joliment une série.
Monter en gamme : un dinar, privilégiez un exemplaire où le nom du sultan est complet.

Sources & références :

Numista – Dirham carré mérinide (anonyme) ; plusieurs fiches et offres illustrant poids et forme. Numista Ma Shops
CNG / Auctions – Dirham carré anonyme Madinat ‘Aṣîla (Asilah), réf. Hohertz 304; Album 547A var (attestation d’atelier et typologie). Classical Numismatic Group
Persée (Revue numismatique, 1974, H. Arroyo) – Trésor de la fin de l’empire mérinide : plusieurs milliers de dirhams d’argent près de Meknès (argument de fréquence de l’argent vs or). Perse+1
APN Rabat (PDF) – Le dirham carré comme outil de propagande (cadre marocain, rôle politique du carré). apn-rabat.org
Numista – Dinars mérinides par règnes (formes rondes et lecture des titulatures).