Introduction
La fin du VIIe siècle constitue un tournant décisif dans l’histoire du Maghreb. À cette époque, l’Empire byzantin recule face aux premières incursions arabes, et le territoire de l’actuel Maroc se trouve au carrefour de multiples influences. Avant l’établissement du premier État islamique marocain par Idriss Ier en 788, la région vit une phase de transition complexe, où cohabitent traditions berbères, héritages antiques et prémices de l’islamisation.
Pour les passionnés d’histoire et les collectionneurs de monnaies anciennes, cette période est fascinante : elle illustre à la fois la résistance des sociétés locales et l’intégration progressive dans le monde islamique.
Un Maroc fragmenté avant l’islamisation
Le Maroc pré-idrisside est un espace morcelé, composé d’une mosaïque de tribus berbères :
- Certaines demeurent fidèles à leurs croyances ancestrales ou au christianisme, hérité de l’époque romaine et byzantine.
- D’autres adoptent l’islam, mais souvent selon une pratique adaptée à leur organisation tribale.
Les tribus sont dirigées par des chefs de guerre, des conseils tribaux ou des figures religieuses charismatiques. Cette organisation favorise une grande indépendance politique.
La résistance berbère
L’avancée arabe rencontre de vives résistances. La plus célèbre est celle menée par la Kahina, reine des Aurès, figure emblématique de la lutte contre la conquête musulmane. Son opposition symbolise l’attachement des Berbères à leur autonomie face aux nouveaux pouvoirs venus d’Orient.
Un carrefour de civilisations et d’échanges
Bien avant la création d’un État islamique, le Maroc occupe une position stratégique entre plusieurs mondes :
- Au nord, les relations avec l’Espagne wisigothique, puis islamisée après 711, favorisent des contacts politiques et commerciaux.
- À l’est, l’Ifriqiya (Tunisie actuelle), déjà sous contrôle arabe, exerce une influence progressive.
- Au sud, les prémices des routes transsahariennes apportent l’or soudanais, l’ivoire et d’autres produits exotiques.
- À l’ouest, l’Atlantique ouvre vers les routes maritimes et les échanges avec d’autres peuples méditerranéens.
Cet enchevêtrement d’influences prépare le terrain à l’intégration future du Maroc dans le vaste monde islamique.
Les monnaies de la période pré-islamique
La numismatique est l’un des témoins les plus précieux de cette époque. Elle révèle un monde en mutation, entre héritage antique et nouvelles normes islamiques.
Les monnaies importées
Les dirhams d’argent et dīnārs d’or omeyyades, frappés à Damas puis à Kairouan, circulent progressivement en Afrique du Nord.
- Ils portent des inscriptions coraniques sobres.
- Ils respectent le principe islamique de l’absence de représentations figuratives.
Ces monnaies introduisent une nouvelle conception de la monnaie, liée à la foi islamique et au pouvoir central.
Les imitations locales
Dans les régions éloignées, certaines tribus frappent leurs propres pièces. Ces imitations locales sont d’une grande valeur historique car elles révèlent :
- Des inscriptions maladroites, parfois avec des fautes de calligraphie.
- Des symboles hybrides, mêlant traditions anciennes et islamisation naissante.
- Des formes irrégulières, témoignant d’une frappe artisanale.
Ces monnaies traduisent une volonté d’appartenir au monde islamique, tout en affirmant une indépendance culturelle.
Une extrême rareté au Maroc
Au Maroc, ces monnaies sont très rares, pour plusieurs raisons :
- Distance par rapport aux grands centres du pouvoir omeyyade.
- Faible implantation de structures administratives arabes avant 788.
- Conservation difficile des monnaies en contexte tribal.
Chaque découverte est donc un véritable trésor pour les numismates, qui y voient une fenêtre sur l’histoire d’un Maroc en transition.
Une période charnière vers les Idrissides
Cette phase de l’histoire prépare directement l’avènement de la dynastie idrisside :
- Les tribus connaissent déjà l’islam, même s’il est pratiqué de façon hétérogène.
- Les monnaies omeyyades introduisent de nouveaux codes monétaires et religieux.
- Les échanges commerciaux renforcent les liens avec l’Orient et al-Andalus.
Lorsque Idriss Ier s’installe à Volubilis en 788, il trouve un terrain déjà partiellement familiarisé avec la culture islamique, mais encore profondément enraciné dans ses traditions locales.
Conclusion
La période pré-islamique berbère (fin VIIe siècle – 788) est une étape essentielle mais trop souvent méconnue de l’histoire du Maroc. Entre autonomie tribale, résistances farouches et ouverture aux influences extérieures, elle représente un moment où le territoire marocain forge sa singularité.
Pour les collectionneurs, les monnaies issues de cette période sont d’une importance capitale : elles ne sont pas seulement des objets de valeur, mais de véritables témoins d’un monde en pleine mutation, à la frontière entre traditions berbères et premiers pas vers l’unité islamique.
Pièces à collectionner – Période pré-islamique berbère (fin VIIe siècle – 788)
1. Monnaies byzantines tardives (VIIe siècle)
- Matériau : Bronze (follis), argent (siliqua), or (solidus – rare).
- Empereurs concernés : Héraclius (610-641), Constantin IV (668-685), Justinien II (685-695, 705-711).
- Particularités :
- Iconographie chrétienne (croix, bustes impériaux, symboles religieux).
- Trouvées dans le commerce méditerranéen marocain (surtout au nord).
2. Monnaies omeyyades (661 – 750)
- Types :
- Dinar en or (rare au Maroc, mais parfois retrouvé).
- Dirham en argent : plus fréquent, circulait largement dans le commerce transsaharien.
- Fulus en cuivre : utilisés pour le petit commerce.
- Particularités :
- Absence de représentations humaines (interdiction islamique).
- Inscriptions en arabe coufique : profession de foi (shahada), versets coraniques, mention du calife.
- Exemple célèbre : dirhams au nom du calife Abd al-Malik ibn Marwan (685-705).
3. Monnaies abbassides (après 750, jusqu’à 788)
- Types :
- Dirhams en argent et fulus en cuivre.
- Particularités :
- Inscriptions plus élaborées en coufique.
- Mentions religieuses et parfois de gouverneurs locaux liés à Bagdad.
Conseils pour collectionneur marocain débutants
- Commencer par les dirhams omeyyades et les dirhams Abbassides.
- Chercher des follis byzantins tardifs retrouvés en Maurétanie Tingitane : accessibles et très représentatifs de la transition.
Références et sources :
Ouvrages historiques
- Hrbek, I. (dir.) – Histoire générale de l’Afrique, Volume III : L’Afrique du VIIe au XIe siècle, UNESCO, 1990.
- Julien, Charles-André – Histoire de l’Afrique du Nord, des origines à 1830, Payot, 1961.
- Lewicki, Tadeusz – Études maghrébines et soudanaises, Variorum Reprints, 1988.
- Chafik, Mohammed – Aperçu sur 33 siècles d’histoire des Amazighs, Éditions Royal Institute of Amazigh Culture, Rabat, 2003.
Sur la numismatique
- Bates, Michael L. – History, Geography and Numismatics in the Maghrib, The Numismatic Chronicle, 1982.
- Miles, George C. – The Coinage of North Africa under the Umayyads and the Idrisids, The American Numismatic Society, 1950.
- Mouhib, Abdelaziz – Monnaies islamiques au Maroc : des Idrissides aux Alaouites, Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Rabat, 2015.
Articles et travaux récents
- Abun-Nasr, Jamil M. – A History of the Maghrib in the Islamic Period, Cambridge University Press, 1987.
- El Alaoui, Youssef – Les débuts de l’Islam au Maghreb : résistances et intégrations, Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée, 2011.